Le Premier ministre israélien Ehud Olmert a été accusé d’« échec sévère » dans la gestion de la guerre du Liban de l’été 2006 par le rapport intérimaire de la commission d’enquête sur ce conflit rendu public hier. Plus graves que ce que révélaient les fuites de ces derniers jours dans la presse, les conclusions de ce rapport épinglent également sévèrement le ministre de la Défense Amir Peretz et l’ex-chef d’état-major Dan Haloutz.
« La responsabilité repose sur le Premier ministre, le ministre de la Défense et le chef d’état-major », a déclaré à la presse le président de la commission d’enquête, le juge Eliahou Winograd, peu après avoir remis son rapport à M. Olmert et au ministre de la Défense. Le rapport établit notamment la liste des principales erreurs concernant l’offensive.
« La décision de répondre avec une frappe militaire immédiate et intense n’était pas fondée sur un plan militaire détaillé, complet et réglementaire, basé sur une étude attentive des caractéristiques complexes de la scène libanaise ». En conséquence, ajoute le rapport, dans le processus de décision concernant l’entrée en guerre, le gouvernement n’a pas tenu compte de l’étendue des options, parmi lesquelles « la poursuite d’une politique de “containment”, ou la combinaison d’actions diplomatiques et politiques avec des frappes militaires tout en évitant l’escalade, ou une préparation militaire sans action immédiate ».
Par ailleurs, certains des objectifs annoncés de la guerre n’étaient pas clairs et ne pouvaient être atteints. « L’IDF n’a pas fait preuve de créativité en proposant des actions alternatives, n’a pas alerté les responsables politiques de l’écart entre leurs scénarios et les modes d’actions réglementaires », souligne le rapport. Elle n’a pas demandé non plus assez tôt la mobilisation des réservistes afin qu’ils bénéficient de l’équipement et de l’entraînement adéquats en cas d’opérations sur le terrain.
Enfonçant le clou, le rapport souligne que, même une fois alertés de ces faits, les responsables politiques ont échoué à adapter les plans militaires et les objectifs à la réalité du terrain.
D’autres facteurs, souligne le rapport, ont également contribué aux échecs de l’opération israélienne. Il s’agit notamment de la complexité de la scène libanaise, sur laquelle Israël n’a pas de contrôle. « La capacité du Hezbollah à se positionner sur la frontière, sa capacité à décider du moment de l’escalade et la croissance de ses capacités militaires ainsi que de son arsenal de missiles » ont été considérablement facilitées après le retrait des troupes israéliennes du Liban-Sud en mai 2000, note le rapport, qui rappelle que ce retrait n’avait pas été suivi, comme les responsables israéliens l’avaient espéré d’un déploiement de l’armée libanaise à la frontière.
Le rapport critique également sévèrement les faiblesses de l’armée israélienne en matière de préparation, d’entraînement, de doctrine opérationnelle, de culture organisationnelle et de structure. En la matière, le rapport liste une série de recommandations d’ordre structurel et institutionnel, tout en insistant sur le fait que « l’IDF n’était pas prête pour cette guerre ».
Les accusations contre Olmert
Pour les responsables de la commission Winograd, MM. Olmert, Peretz et Haloutz sont les principaux responsables de ces échecs.
Concernant les accusations du rapport intérimaire contre le Premier ministre, M. Winograd a affirmé que M. Olmert s’était rendu coupable d’un « échec sévère dans l’exercice du jugement, de la prise de responsabilité et de la prudence ». « Le Premier ministre a arrêté sa décision (de déclarer la guerre) à la hâte malgré le fait qu’aucun plan militaire détaillé ne lui ait été soumis et sans qu’il en fasse la demande », a ajouté l’ancien juge. M. Winograd a également indiqué que M. Olmert a pris la décision d’entrer en guerre contre le Hezbollah sans avoir « profondément étudié la situation complexe sur le front libanais » et sans avoir « évalué les différentes options militaires, politiques et diplomatiques dont dispose Israël. » Le Premier ministre est « responsable du fait que les objectifs de la campagne n’aient pas été clairement et soigneusement définis », a encore souligné le rapport.
Les erreurs de Peretz
M. Peretz, un ancien syndicaliste dénué d’expérience militaire, a pour sa part « échoué dans l’exercice de ses fonctions. En conséquence, sa présence à la tête du ministère de la Défense pendant la guerre a affecté la capacité d’Israël de bien répondre aux défis auxquels il était confronté ». « Il n’a pas demandé à l’armée ses plans opérationnels et ne les pas examinés. Il n’a pas vérifié le degré de préparation et d’entraînement de l’armée. Il n’a pas examiné la correspondance entre les objectifs et les modes d’action », a insisté le juge Winograd.
Concernant le chef d’état-major Dan Haloutz, qui a démissionné en janvier dernier, « il a échoué dans ses fonctions de commandant en chef de l’armée et d’élément-clé de la direction politico-militaire. Il a affiché des lacunes dans son professionnalisme, sa responsabilité et son jugement ». Le rapport accuse également M. Haloutz de ne pas avoir averti les dirigeants politiques de la complexité de la situation sur le terrain et du « manque de préparation de l’armée israélienne à mener une vaste opération terrestre au Liban. »
« Nous allons immédiatement étudier le rapport afin d’en tirer les enseignements et les appliquer aux défis auxquels fait face l’État d’Israël », a affirmé M. Olmert. Quelques heures plus tard, il a affirmé, cité par les médias israéliens : « C’est un rapport très dur qui traduit les échecs, notamment de la direction politique de ce pays et moi en tête, mais je ne pense pas qu’il soit opportun que je démissionne. » À la sortie de la réunion des ministres de Kadima (centre), le vice-Premier ministre, Shimon Peres, a souligné que la commission n’avait pas préconisé le départ de M. Olmert.
« Malgré tout ce que l’on entend aujourd’hui sur Haloutz, lui a eu le courage de démissionner. Aujourd’hui, on a montré la porte à Olmert et Peretz et ils doivent partir », a déclaré, pour sa part, l’ancien ministre de la Culture Ophir Pinès-Paz, député travailliste. Yaacov Ederi, ministre chargé des Relations avec le Parlement, a lui aussi jugé « très dur » le rapport et appelé à un « examen de conscience ». Quelques dizaines de manifestants se sont rassemblés à Jérusalem pour exiger la démission d’Olmert.
De son côté, la Maison-Blanche a réagi en affirmant que M. Olmert était « essentiel » aux efforts de paix avec les Palestiniens.
L’armée israélienne a, quant à elle, fait savoir dans un communiqué que le chef d’état-major Gabi Ashkenazi avait mis sur pied une commission chargée d’étudier les conclusions du juge Winograd.
Le rapport examine les six années qui ont suivi le retrait unilatéral israélien du Liban-Sud en mai 2000 jusqu’au cinquième jour inclus du conflit, qui s’était déroulé du 12 juillet au 14 août 2006. Ce document de 320 pages est un rapport intermédiaire avant celui définitif, qui pourrait inclure des recommandations personnelles concernant les responsables politiques, attendu pour juillet.
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Voir aussi le Nouvel Observateur :
Guerre au Liban : accusé,Olmert refuse de partir
[2]...A la sortie de la réunion des ministres de Kadima (centre), le vice-Premier ministre, Shimon Peres, a souligné que la commission n’avait pas préconisé le départ de Ehoud Olmert.
"Bien qu’elle ait eu la possibilité de préconiser des recommandations personnelles, elle ne l’a pas fait. Elle s’est contentée d’appeler le gouvernement à profiter de l’occasion pour réparer ce qui doit l’être", a affirmé Shimon Peres.
"On ne peut pas plonger le pays dans une crise et aller vers des élections anticipées. Il ne faut pas montrer au monde l’image d’un Israël faible et brisé", a-t-il poursuivi.(...)
Entre 1.035 et 1.191 victimes
A l’issue de la guerre, qui a fait entre 1.035 et 1.191 morts, des civils pour la plupart, côté libanais, et 159, dont 120 soldats, côté israélien, aucun des deux objectifs fixés par Ehoud Olmert n’avait été atteint -ni l’élimination du Hezbollah, ni la libération des deux soldat israéliens. Près de 4.000 roquettes des milices islamistes s’étaient écrasées sur le nord de l’Etat hébreu et les soldats revenaient en colère, se plaignant du manque de préparation, de coordination et de matériel.
Sous la pression de l’opinion publique mécontente, Ehoud Olmert a accepté en septembre 2006 de créer une commission d’enquête. Celle-ci ne possède pas le pouvoir de limoger des responsables mais ses conclusions pourraient déclencher des manifestations et forcer Ehoud Olmert et le travailliste Amir Péretz à partir.
Dissolution
Des membres de l’opposition mais aussi du Parti du ministre de la Défense ont dès dimanche appelé à la démission du chef du gouvernement. Deux députés de l’opposition ont déclaré qu’ils demanderaient la dissolution du Parlement et la tenue d’élections législatives anticipées.
Cependant, malgré son impopularité et les scandales sexuels et de corruption qui frappent son gouvernement, Ehoud Olmert pourrait se maintenir si ses partenaires préfèrent le soutenir que retourner aux urnes dans un contexte défavorable. L’ancien Premier ministre Benyamin Nétanyahou, chef du Likoud nationaliste, est en effet donné vainqueur dans les sondages.
Voir également l’analyse de René Backmann dans le Nouvel Obs :
http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/opinions/3_questions_a/
20070430.OBS4904/un_tsunami_politique.htm